
La Guinée a conclu en novembre dernier un accord avec la société britannique Sycamore Mining pour relancer la mine d’or de Kiniéro, à l’arrêt depuis plusieurs années. Si Conakry présente la compagnie comme « le meilleur investisseur pour le projet », le processus ayant conduit à la sélection pourrait avoir été entaché de plusieurs irrégularités, selon des sources de l’Agence Ecofin. Entre intimidation et prise illégale d’intérêts, de graves soupçons pèsent sur de hauts cadres du ministère guinéen des Mines et de la Géologie.
Flou autour du processus d’appels d’offres
Le dernier appel d’offres organisé par le ministère guinéen des Mines suscite plusieurs questions. Selon des personnes proches du dossier, ayant réclamé l’anonymat, le processus de sélection et d’attribution n’aurait été qu’une « mascarade de transparence institutionnelle servant à la conclusion de contrats privés au bénéfice du cabinet du ministre ». En effet, apprend-on, le vainqueur de l’appel d’offres était connu avant même que le processus ne soit lancé.
Sycamore Mining aurait pris contact avec le ministère par l’entremise de Christian Rampa Luhembwé, un ancien DG de la SAG, la plus grande société aurifère du pays. Ce dernier est à la tête de la société Emedi Resources.
D’après une lettre datée du 21 décembre 2018 et adressée au ministre des Mines Abdoulaye Magassouba par Emedi Resources, il est fait état d’une offre conjointe entre la société et son partenaire financier Sycamore Mining pour obtenir les titres miniers sur les gisements de Kiniéro. Dans ladite lettre consultée par Ecofin, la compagnie a reçu un certain nombre de requêtes de la part de l’adjoint du ministre pour l’octroi des permis.
Entre autres conditions, il est demandé à la coentreprise si elle est disposée à accepter un partenariat avec une «partie tierce» sur le projet, être le partenaire majoritaire et l’opérateur de la mine, assister au paiement des frais légaux réclamés par le gouvernement.
«Bien que notre forte préférence soit de réaliser ce projet seul, étant donné nos capacités techniques et financières, nous sommes ouverts à toute demande que vous pourriez nous adresser pour que nous acceptions un actionnaire minoritaire sous réserve de comprendre l’identité de ce partenaire et être en mesure de négocier une entente de coentreprise et une entente d’exploitation à notre satisfaction», indique la lettre dans laquelle la société demande au ministre de faire une présentation officielle pour commencer les discussions.
Il est important de noter que lors de la signature de l’accord pour relancer la mine Kiniéro, il n’est fait nulle part mention d’Emedi Resources Ltd. L’accord a été uniquement signé avec le partenaire financier Sycamore Mining. Qu’en est-il du partenaire tiers dont parlait la lettre d’Emedi ? Sur quelle base Sycamore a-t-elle été préférée aux autres concurrents plus réputés que sont Toro Gold (racheté récemment par Resolute Mining) et SWR International ? Son offre était-elle vraiment la meilleure pour la relance de la mine anciennement gérée par la société canadienne Semafo ? Autant de questions qui restent sans réponses. Contactés par notre rédaction, ni le ministère des Mines, ni Sycamore Mining n’ont souhaité répondre à nos questions.
Des pratiques courantes au ministère : le coup de gueule du kazakh Eurasian Resources
D’après les sources d’Ecofin, le cas de Kiniéro n’est pas le seul exemple de ce genre de pratiques au ministère des Mines guinéen. La compagnie kazakhe Eurasian Resources, active sur l’exportation de la bauxite des régions de Telimele et Fria dans le nord-ouest de la Guinée, a envoyé le 6 juin 2019 une lettre au ministre pour dénoncer des cas de prise illégale d’intérêts dont elle est victime.
Alors qu’un décret présidentiel datant de 2018 lui a octroyé une zone pour construire un port de 7 quais dans un délai de six mois, la compagnie a été retardée sur le projet.
Dans le document consulté par Ecofin, il est question d’une proposition du ministère, relative à une nouvelle délimitation qui réduisait la superficie de la zone. La proposition aurait été faite « à dessein pour protéger, à tout prix et contre toute logique, les intérêts de deux autres sociétés (GBT et AXIS)».
Eurasian a dénoncé le traitement «inadéquat» de son investissement estimé à 1,1 milliard de dollars par rapport aux investissements des deux entités réunies ne dépassant pas le dixième de son projet.
Selon le groupe kazakh, Ahmed Kanté, ancien ministre des Mines et ancien DG de la Soguipami, serait à la base de cette proposition visant à retarder son projet de construction de port. M. Kanté est présenté dans la lettre comme « mentor de l’actuel SG du ministère, Saadou Nimaga, et propriétaire réel des deux autres sociétés ». Son objectif en retardant le projet d’Eurasian serait de permettre à ses sociétés de continuer d’opérer illégalement sur la zone octroyée par décret, en utilisant les données de la compagnie kazakhe.
« Malgré la mobilisation des ressources financières et matérielles pour démarrer la construction du port à 7 quais dans un délai de 6 mois, nous étions systématiquement bloqués depuis quatre mois pour des raisons opaques et inadmissibles », a indiqué Eurasian, précisant qu’elle a informé son gouvernement et qu’elle utilisera tous les moyens et voies légaux localement et internationalement afin de protéger son investissement.
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