
«Marine Le Pen et le Rassemblement Bleu Marine pressent le gouvernement français à prendre toutes dispositions pour obtenir» d’Air France «la suspension de ses liaisons aériennes en provenance ou à destination des pays à risque, dont la Guinée, le Sierra Leone et le Libéria», écrit le parti d’extrême droite dans un communiqué. Le Nigéria n’est pas cité.
Pour le FN, la France «doit prendre notamment exemple sur l’Afrique du Sud, qui vient de fermer ses frontières aux vols provenant de trois pays particulièrement touchés par la maladie». Ce qui est exact. Le parti d’extrême droite rappelle que «seules trois compagnies internationales continuent de desservir régulièrement les pays affectés: Royal Air Maroc, Brussels Airlines et Air France».
C’était inévitable. Il y a deux mois, Jean-Marie Le Pen s’était une nouvelle fois aventuré sur des terres innommables se nourrissant du pathologique infectieux viral: trente ans après ses «sidaïques», il avait osé un «Mgr Ebola» associé au règlement des problèmes d’immigration.
Cette fois, la déclinaison est d’une autre nature. Marine Le Pen ne fait que reprendre une interrogation qui couve depuis plusieurs semaines, interrogation dont le gouvernement et la compagnie pensaient sans doute pouvoir faire l’économie. Sans saisir que l’arrêt récent des vols de la British Airways lui imposait de justifier leur choix.
Après les pauvres mensonges du député UMP des Hauts-de-Seine Patrick Balkany, le Rassemblement Bleu Marine pose une vraie question. Et point besoin d’être fin politicien pour saisir l’opportunité qui est la sienne.
Symbolique nationale
Reste la question. C’est, à tout le moins, une équation complexe dont tous les termes doivent être publiquement exposés.
C’est aussi, en direct et en vraie grandeur, une sérieuse problématique de politique de santé publique, problématique qui, à l’évidence, dépasse la seule compagnie Air France/KLM. Il faut notamment compter ici avec la symbolique nationale –avec la présence aéroportuaire française dans des pays profondément déstabilisés par l’épidémie.
«Le maintien de liaisons aériennes avec les pays touchés tient de l’humanisme et d’une indispensable solidarité, souligne Sylvain Baize, directeur du Centre national de référence pour les fièvres hémorragiques. Si ces pays se retrouvent mis en quarantaine du reste du monde, comment les équipes internationales qui luttent sur le terrain pour endiguer l’épidémie vont-elles pouvoir continuer à faire leur travail en permettant la rotation des personnels? Les mêmes compagnies aériennes rechignent de plus en plus à acheminer les prélèvements sanguins destinés au diagnostic, et pourtant emballés selon les normes (tout à fait suffisantes) en vigueur. Quelle image allons nous donner à nos amis Africains si nous les abandonnons encore un peu plus?»
Nécessaire pédagogie
Pour Sylvain Baize, qui a dirigé l’équipe ayant identifié la souche virale d’Afrique de l’Ouest, la perception du risque par les personnels des compagnies aériennes est totalement irrationnelle. «On filtre les passagers à l’embarquement, le risque qu’un passager malade, et donc contagieux, embarque est très faible, explique-t-il. Subsiste bien sûr le problème du passager en période d’incubation, mais là, les PNC ne risquent rien, la personne n’étant pas, alors, contagieuse.»
A cette aune, la poursuite des vols d’Air France vers l’Afrique de l’Ouest correspond à une prise de risque pleinement calculée. Le grand public peut comprendre de quoi il retourne si les justifications lui sont données par les politiques, qui se doivent de gérer cette crise après évaluation du risque par les experts scientifiques. Et ce, que la décision soit de poursuivre ou de suspendre les vols d’Air France.
Encore faut-il que le gouvernement, le Premier ministre, joue son rôle. Et qu’il le joue en sachant faire preuve de pédagogie sanitaire et politique. C’est désormais à lui d’agir. Sans plus tarder.