mercredi , 31 mai 2023

Mort d’Ibrahima Sylla, producteur de musique africaine

Il était l’un des hommes-clés de la production musicale de l’Afrique francophone. Producteur, dans les années 1980, de talents émergents, en particulier en Afrique de l’Ouest, dont certains ont développé, grâce ou après lui, des carrières internationales (Ismaël Lô, Baaba Maal, Orchestra Baobab, Salif Keita, Alpha Blondy…), Ibrahima Sylla est né de parents guinéens en 1956, au Sénégal, à Kaolak, ville proche de la Gambie.


Installé à Paris, il a créé en 1981 le label Syllart, constituant un copieux catalogue, aussi essentiel à la musique africaine que peut l’être le label Fania pour la salsa. Il est décédé à Paris, lundi 30 décembre, des suites d’une longue maladie. Il sera enterré à Dakar, samedi 4 janvier, près de son père et de son frère aîné.

Ibrahima Sylla avait un tempérament d’homme d’affaires baroudeur. Affaibli mais pas assagi, de son lit d’hôpital il continuait à gérer ses affaires, avec poigne. Il avait la niaque, coups de gueule compris, envers et contre la maladie. « C’était un dictateur dans les studios. Quand il arrivait pour écouter ce que l’artiste avait fait, si ses directives n’avaient pas été suivies à la lettre, il piquait une colère monstre et faisait des modifications qui, en fait, valorisaient tout de suite la musique », déclare au Monde José Da Silva, directeur du label Lusafrica et producteur de feu Cesaria Evora.

Il ajoute : « Il a beaucoup compté pour ma carrière musicale. C’est en le côtoyant, assistant, par exemple, à l’enregistrement de l’album Soro de Salif Keita, que j’ai attrapé le virus de la production. Pour moi, il était le meilleur producteur africain, il avait un sens des affaires et un nez incroyable pour dénicher de grands talents. »

En novembre 2013, Ibrahima Sylla lançait sur le marché le huitième album studio du collectif salsero Africando, Viva Africando. (Sterns/Harmonia Mundi), enregistré entre Dakar, Bamako, New York et Paris. Le nouveau chapitre d’une histoire amorcée à la fin de l’année 1992 dans un studio new-yorkais, avec au départ des chanteurs sénégalais.

Africando incarne la réussite d’Ibrahima Sylla. « J’écoutais de la musique cubaine depuis longtemps, racontait-il alors. Au Sénégal, on dansait là-dessus dans les années 1960-1970. Je me suis constitué une collection de disques lorsque j’étais étudiant en France. Quand j’ai commencé à faire de la production, des amis m’ont demandé pourquoi je ne produisais pas de la musique afro-cubaine. »

« LA SALSA EN AFRIQUE »

Il en parle à Boncana Maïga, musicien malien et arrangeur ayant développé sa carrière à Abidjan, « qui connaît bien aussi cette musique, a vécu à Cuba. On a décidé d’aller enregistrer à New York ». Ils emmènent avec eux trois chanteurs sénégalais, Pap Seck, Nicolas Menheim, Medoune Diallo.

D’autres voix de différents pays s’engageront dans l’aventure par la suite, dont le Guinéen Sékouba Bambino et Gnonnas Pedro, du Bénin. Sylla se réjouira, plus tard, du succès et de l’impact d’Africando. « Avec l’avènement d’Africando, les gens se sont replongés dans la salsa en Afrique. Chez nous, on disait que tous les salseros étaient “has been”, vieux. Africando a changé les mentalités. C’est un trait d’union, une musique transgénérationnelle et transnationale. »

La première signature du label Syllart fut l’Orchestra Baobab, enregistré au studio Golden Baobab, à Dakar, dont le patron était le fils de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Le groupe comptait alors dans ses rangs le chanteur Thione Seck, remarquable. Ibrahima Sylla signe ensuite Ouza et Ismaël Lô. Beaucoup d’autres suivront.

En 2010, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances africaines, paraît une anthologie remarquable, Africa, 50 Years of Music, 1960-2010 (Syllart Productions/ Discography). Plus de 300 titres en 18 CD (deux seront ajoutés en 2011 lors d’un second tirage). Un panorama exaltant de la foisonnante créativité musicale africaine des cinquante dernières années. Son grand œuvre, même s’il a su s’entourer d’autres compétences. Un tiers du contenu provient du catalogue d’Ibrahima Sylla.

Le Monde.fr