
Assise dans un fauteuil sous sa véranda, Hadja avec son chapelet, a passé de bonnes minutes de prières avant l’entrevue. On évoque le sujet du jour: ‘’la vie de Nelson Mandela’’. Hadja, d’un ton joyeux, nous répond : ‘’Mandela a été une grande figure, un grand homme. Il a appris le maniement des armes ici en Guinée’’. Nous l’interrompons tout doucement. Mais, l’aisance à aborder le sujet est encore là. Surtout ce que son défunt mari a fait pour l’icône anti-apartheid, décédé jeudi dernier à Johannesburg à l’âge de 95 ans. Les micros sont ouverts, Hadja se prête volontiers à nos questions. A la fin de l’entretien qui a duré une quinzaine de minutes, l’ex-Première Dame de Guinée, visiblement combattive malgré l’âge, nous confie préférer vivre ses derniers jours en République de Guinée. « Mes enfants, je suis là en Guinée. Je préfère rester ici et attendre la fin de ma vie. Je n’irai m’installer nulle part. La vie ici est la meilleure ». « Prenez soin de vous, demain vous appartient vous les jeunes », nous dit Mme Touré en serrant sa main contre les nôtres. Riche et émouvant!
«Le président Nelson Mandela était un grand monsieur qui a marqué l’histoire, pas de l’Afrique seulement mais de l’humanité toute entière. Il a été grand parce qu’il a été foncièrement humain. Effectivement, j’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs occasions. Parce qu’il est venu ici en Guinée au moment de la lutte contre le régime d’apartheid de Pretoria. Il est venu à Conakry ici pour prendre contact avec mon mari, feu le président Ahmed Sékou Touré auprès duquel il était venu chercher de l’aide. Ce dernier l’a reçu. Après leur entretien, le président Sékou Touré a fait une collection des tomes de ses livres qu’il lui a offerte. C’était bien avant son arrestation. Alors Mandela m’a personnellement confié qu’il était un peu déçu parce qu’il cherchait une aide financière. Mais, le président Sékou a préféré lui offrir dans un premier temps ses œuvres et lui a promis qu’il lui enverra quelqu’un plus tard. Le président Sékou a dit à Mandela que s’ils veulent combattre le régime de l’apartheid qui est un système très puissant, il leur faudrait prendre des armes parce qu’une lutte pacifique ne suffirait pas à elle seule. Il lui a donc suggéré la formation des combattants. C’est ainsi qu’il a envoyé Nelson Mandela au camp de Kindia pour apprendre le maniement des armes. Mandela y est allé avec son compagnon de l’époque, le père du président Thabo MBéki, Govan Mbéki. C’est donc à Kindia que Nelson Mandela a eu à manier pour la première fois les armes. Dès après, le président Sékou Touré a dit qu’il leur faut recruter des combattants.
Avant son départ de Conakry, le président Sékou lui a envoyé à l’aéroport son messager pour lui donner une enveloppe d’argent. Aux dires du président Mandela lui-même, qu’il n’avait jamais reçu autant d’argent qu’en Guinée. Selon lui, c’était la première fois qu’il recevait une telle somme d’argent en espèce. Je ne sais pas combien c’était mais, il m’a personnellement confié que c’était une forte somme. Ce geste du président Guinéen l’avait profondément marqué. Et quand il est rentré en Afrique du Sud, ils ont commencé à organiser leurs sabotages du régime d’apartheid ainsi que la lutte armée. C’est pour ces faits qu’il a été arrêté et condamné à la prison à vie. Il passera ainsi et injustement 27 ans de sa vie dans la geôle des blancs. Avec tout ce que cela peut comporter comme tortures, humiliations, dégradations de l’homme avec des travaux forcés, il n’a jamais renoncé un seul instant à ses convictions intimes qui était la lutte contre l’arbitraire, l’injustice pour la liberté et la paix.
Ce qui fait la grandeur de Nelson Mandela, c’est le fait d’inscrire son combat au bénéfice de toutes les races (Afrikaners, noirs, métis, indiens) qui cohabitaient sur le sol Sud-africain. A sa sortie de prison, en ce moment mon mari était décédé et moi je vivais en exile à Abidjan. C’est de là que j’ai suivi sa libération et ce jour, j’ai fondu en larmes. J’étais très heureuse qu’il ait recouvré sa liberté mais vivant. Après, Mandela a entrepris une tournée africaine. En escale à Abidjan, on lui a signalé ma présence et aussitôt il a demandé au président Houphouët Boigny à me rencontrer.
Lorsque nous nous sommes rencontré, moi je ne me rappelais même plus des souvenirs de son passage à Conakry, quand il m’a aperçu de loin, il m’a indexé et a avancé dans ma direction. Arrivé à mon niveau, il m’a embrassé et il a commencé à raconter tout ce que mon mari et la Guinée ont fait pour lui. Je précise qu’il était en escale technique. Tout le temps qu’il y a passé, il est resté avec moi et il ne parlait que des gestes que mon mari à faits pour eux. Parce que les jeunes de l’ANC, le parti de Mandela vivaient en Guinée et le président Sékou Touré a accordé des bourses d’études à plusieurs d’entre eux. Certains ont étudié à l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, d’autres sont partis se former dans d’autres universités des pays étrangers. Quant aux militants combattants de l’ANC, ils bénéficiaient eux, des formations militaires au camp Kwamé Nkrumah. J’ai eu l’occasion de leur rendre visite et parfois je leur apportais à manger. Je rappelle que même après l’emprisonnement de Nelson Mandela, l’aide de la Guinée en faveur de l’ANC n’a jamais fait défaut. Je pense qu’il est resté profondément reconnaissant de tous ses gestes.
Si celui qui l’a aidé est rejeté et vilipendé par les Guinéens, qu’est-ce qu’il va se dire…
Certains Guinéens étaient frustrés pour le fait que Nelson Mandela ne se soit pas rendu en Guinée après sa libération alors que la Guinée les a beaucoup accompagnés dans leur lutte. C’est une évidence. Mais Nelson Mandela connaissait les réalités aussi. Si celui qui l’a aidé est rejeté et vilipendé par les Guinéens, qu’est-ce qu’il va se dire… Sans doute je voyais peut-être, je n’en ai jamais échangé avec lui sur les raisons profondes de son attitude, Mandela gêné en se rendant en Guinée avec tout ce qu’on disait de la mémoire du président Sékou Touré. Il y a un proverbe qui dit : ‘’ Quand ton père prête de l’argent, toi qui dois le réclamer, si tu dis que ton père n’a rien fait, qui va te payer cette dette.’’ C’est un peu ce qui est arrivé à la Guinée et cela nous arrive dans beaucoup d’autres domaines. Peut-être Dieu n’a voulu qu’il revienne en Guinée… Dans quelques heures, nous allons recevoir le sommet des ministres des Affaires Etrangères de l’organisation de la Coopération Islamique (OCI). Qu’est-ce que la Première République n’a pas fait pour la création de l’OCI ? Mais nous sommes les derniers partout. Parce tout simplement nous avons refoulé, renié, rejeté globalement notre histoire que je pense personnellement, glorieuse. Mais malheureusement cela a été le cas avec l’Afrique du Sud.
En 2004, si j’ai bonne souvenance, j’étais invitée en Afrique du Sud à la faveur de l’attribution d’un prix par le gouvernement sud-africain au président Houphouët et à mon mari, le président Sékou Touré pour leurs aides pendant la lutte contre l’apartheid. C’était le président Thabo Mbéki qui était au pouvoir à l’époque. Après cette remise, j’ai demandé à rencontrer le président Mandela. Dieux merci, j’ai eu la chance et l’opportunité de le rencontrer chez lui en Afrique du Sud. A l’époque, j’ai été accompagnée par notre sœur, Miriam Makéba. Celle-ci m’a dit, vous savez madame Touré, le président Mandela est entouré de gens qui sont très stricts sur le protocole. Mais, on avait déjà pu avoir l’accord de principe du président Mandela pour une audience. Le problème pour nous, c’était le respect de l’heure. Parce qu’il faut arriver à l’heure juste. Si vous venez en avance, vous ne pourrez pas rentrer et idem si vous êtes en retard. Nous, nous étions venus un peu en avance, on a donc attendu et à l’heure juste, on est rentré.
Lorsque nous sommes rentrés, le président Mandela nous a confiés qu’il nous attendait depuis une heure de temps tellement qu’il avait hâte de me recevoir. Durant toute notre conversation, il me tenait la main et j’ai même une faute qu’on a faite avec lui et il ne parlait que du président Sékou Touré et ce que celui-ci a pu leur apporter comme aides en tous genres. Je retiens donc de lui un homme très sincère et profondément reconnaissant. Mandela a été un grand homme pour qui j’ai énormément admiré et que je continue à admirer. Parce que c’est grâce à lui que l’Afrique du Sud n’a pas connu le chaos. Les afrikaners avaient tellement commis d’atrocités sur les noirs que si Mandela n’avait pas été là pour empêcher que les noirs se vengent, l’Afrique du Sud allait sombrer dans un chaos, une tragédie sans précédent. Il a dit que les Sud-Africains devaient se donner la main pour bâtir une nouvelle nation, la nation Arc-en-ciel. Dieu merci, ce pari il l’a réussi et l’Afrique du Sud, grâce à l’action de Nelson Mandela, connaît une certaine stabilité politique et une avancée économique nulle part, égalée en Afrique. Donc, c’est un grand monsieur, une légende pour l’Afrique entière et pour l’humanité. Je prie que Dieu lui accorde le repos qu’il mérite après tant de souffrances et de sacrifices. »