
« Allô, c’est Ghislaine Dupont de RFI. Je vous appelle pour avoir un entretien avec vous après votre arrestation et votre expulsion de la Guinée. Etes-vous d’accord ? ». La voix était douce son auteure transpirait la gentillesse. Elle posait des questions précises, relançait sans cesse pour traquer le détail qui fait la marque des très grands professionnels. Notre entretien finit par un fou rire. C’était la dernière fois que j’ai conversé directement avec cette grande dame. Nous étions en 1998, et si ma mémoire m’est encore fidèle, la journaliste était à cette époque en reportage dans la région des grands lacs. Après quelques heures éprouvantes passées entre un commissariat de police et l’aéroport international de Conakry j’étais tombé sous le charme de cette personnalité exceptionnelle. Ce jour-là, malgré ma peine décuplée par le sentiment d’injustice qui me taraudait, la petite conversation téléphonique que j’ai eue avec Ghislaine m’a requinqué.
Quinze années plus tard, l’amoureuse de l’Afrique est tombée… le micro à la main. Elle a eu 57 ans cette année. Sa disparition n’est pas seulement une perte pour RFI, elle est d’abord celle de ces combattants de la liberté, sillonnant l’Afrique dans des conditions souvent dangereuses. Les rares informations que nous obtenons des zones de conflit, nous les devons d’abord à ces baroudeurs – comme Ghislaine – qui les écument sans cesse à leurs risques et périls. Sans eux, nul doute que nos guerres auraient été plus barbares et plus difficiles à supporter et la mobilisation de ce qu’on a convenu d’appeler la « communauté internationale » beaucoup plus molle.
Sans anticiper sur l’identité des véritables responsables de ces morts violentes (Verlon et Ghislaine aurait été « criblés » de balles), il est évident que le véritable dessein des commanditaires est d’empêcher les journalistes d’apporter leur témoignage indépendant sur le conflit qui mine le nord du Mali. C’est totalement inacceptable aussi bien pour les populations locales qui souffrent le martyre que pour nous journalistes. Notre devoir est donc de ne pas accepter le fait accompli, de ne jamais céder face au terrorisme.
Saliou SAMB
Correspondant de l’agence de presse Reuters en Guinée