
C’est un véritable coup de théâtre dans l’affaire Bettencourt. Après 12 heures d’interrogatoire et au moins quatre confrontations entre Nicolas Sarkozy et plusieurs membres du personnel de Liliane Bettencourt, Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour abus de faiblesse à l’encontre de la milliardaire, hier soir.
Une décision intervenue après cinq ans d’enquête ayant troublé sa présidence et alors qu’il n’excluait plus un éventuel retour en politique.
Les confrontations se sont déroulées à Bordeaux dans la plus grande discrétion, pour vérifier si l’ancien chef de l’État s’était rendu une ou plusieurs fois chez l’héritière de L’Oréal, pendant sa campagne en 2007, et s’il l’a vue.
Incohérent et injuste
Peu avant 22 heures, Nicolas Sarkozy est sorti du palais de Justice, visiblement fatigué. Il n’a pas dit un mot, mais son avocat, Me Thierry Herzog lui, a qualifié la décision du juge Gentil d’«incohérente sur le plan juridique, et injuste», annonçant qu’il saisirait «en conséquence immédiatement la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux pour former un recours et pour demander la nullité, notamment de cette mise en examen»
En décidant de mettre Nicolas Sarkozy en examen, le juge d’instruction Jean-Michel Gentil estime que des «indices graves et concordants» au sens du code pénal, démontrent que l’ancien chef de l’État aurait commis un abus de faiblesse aux dépens de Liliane Bettencourt en lui demandant de l’argent pour financer sa campagne, en 2007. Les experts font remonter le début de l’affaiblissement mental de la milliardaire à septembre 2006.
Jusqu’à trois ans de prison
L’ancien président a notamment été confronté à l’ex-majordome des Bettencourt, Pascal Bonnefoy, une ancienne femme de chambre, Dominique Gaspard, l’infirmière Henriette Youpatchou, et un autre maître d’hôtel. Le juge avait, au cours des dernières semaines, multiplié les auditions avec le personnel de la milliardaire, jusqu’à fin février de cette année, car certains avaient déclaré avoir vu M. Sarkozy au moins deux fois pendant la période, certains assurant qu’il avait rencontré Mme Bettencourt à ces occasions.
En novembre dernier, Nicolas Sarkozy avait été placé sous le statut de simple témoin assisté, faute de charges suffisamment lourdes contre lui.
Que risque l’ancien Président ? Rien au titre d’un financement illicite de sa campagne présidentielle. De tels faits sont prescrits au bout de trois ans, donc depuis le printemps 2010. Reste l’abus de faiblesse, délit puni jusqu’à trois ans de prison et 375000 euros d’amende.
Mise en garde de la gauche
Nicolas Sarkozy « a considéré que le traitement qui lui était infligé » par la justice dans l’instruction du dossier Bettencourt « était scandaleux », a indiqué ce vendredi sur RTL son avocat Me Thierry Herzog. « Jamais il n’a demandé à être mieux traité qu’un autre, mais jamais non plus on ne doit considérer qu’il devrait l’être moins bien ».
A droite, Jean-François Coppé a fait part de son « incompréhension » après la mise en examen de l’ex-chef d’Etat, tandis que François Fillon s’est dit « stupéfait » en apprenant la nouvelle. De son côté, Harlem Désir, numéro un du PS, a jugé « insupportable » de laisser entendre que la justice ne fait pas son travail dans le dossier Bettencourt-Sarkozy et a mis en garde la droite contre toute « pression ».
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Les autres affaires qui attendent l’ancien Président
> SONDAGES DE L’ELYSEE
Un juge enquête depuis le début de l’année sur la régularité des contrats conclus, sans appel d’offres, entre l’Elysée et neuf instituts de sondage sous Nicolas Sarkozy. L’association Anticor avait déposé une première plainte pour favoritisme en 2010 au sujet d’une convention commerciale signée par l’ex-directrice de cabinet Emmanuelle Mignon, avec la société de conseil de Patrick Buisson, ancien conseiller de Sarkozy.
> LIBYE
Une enquête préliminaire a été ouverte pour vérifier l’authenticité du document attribué à un ex-homme de confiance du colonel Kadhafi, faisant état d’un «accord de principe» conclu en 2006 avec Tripoli pour apporter 50 millions d’euros à la campagne du candidat Sarkozy. Dans cette enquête, le bureau et le domicile parisien de Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy ont été perquisitionnées.
> AFFAIRE LAGARDE/TAPIE
La justice enquête sur la décision prise fin 2007 par l’ancienne ministre de l’Economie Christine Lagarde de recourir à un arbitrage pour solder le contentieux opposant depuis 1993 Bernard Tapie au Crédit lyonnais sur la vente d’Adidas. Nicolas Sarkozy aurait rencontré au moins six fois Bernard Tapie en 2007, avant son élection à la présidence, et à douze reprises, une fois installé à l’Elysée.
Les juges ont perquisitionné chez Claude Guéant et une enquête de la Cour de justice de la République vise Christine Lagarde .
> AFFAIRE KARACHI
L’enquête porte sur un éventuel financement occulte de la campagne présidentielle de Balladur en 1995, par le biais de rétrocommissions présumées dans le cadre de contrats d’armement. M. Sarkozy était en 1995 ministre du Budget et porte-parole de campagne de M. Balladur. Une note saisie lors d’une perquisition à la Direction des constructions navales (DCN) évoque le feu vert du ministre à la création d’une société offshore, pour le versement de commissions en marge de ces contrats, légales à l’époque. En septembre 2011 d’un communiqué de l’Elysée sur le volet financier de Karachi.
Jean-Pierre Bédéï
La Dépêche