Deux jours après le début d’une prise d’otages par un groupe islamiste sur un complexe gazier près d’In Amenas, dans le sud-est de l’Algérie, et plus de vingt-quatre heures après que les forces spéciales algériennes ont commencé à leur donner l’assaut, les combats étaient, selon plusieurs sources, toujours en cours vendredi 18 janvier au soir.
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Le sort des ressortissants étrangers s’est précisé dans la journée de vendredi, avec un premier bilan des autorités algériennes et grâce à des images et à des témoignages d’otages libérés. Ainsi, 573 otages algériens seraient libres ainsi qu’une centaine des 132 otages étrangers, selon une source au sein de la sécurité algérienne. En début de soirée, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé que les autorités algériennes lui avaient fait part de la mort d’un otage français, Yann Desjeux, « pendant l’opération de libération ». Trois autres Français seraient en vie.
Sur le nombre total de morts de part et d’autre depuis le début de l’assaut, les bilans divergent. Une source au sein de la sécurité algérienne évoquait, vendredi soir, dix-huit assaillants tués et au moins douze morts parmi les otages, algériens et étrangers. Les islamistes évoquaient, eux, une cinquantaine de morts. Retour sur les dernières quarante-huit heures.
LA PRISE D’OTAGES, LA CONFRONTATION ET L’ASSAUT
Mercredi 16 janvier, à l’aube, alors que les forces françaises progressent vers le nord du Mali, un commando d’islamistes d’une trentaine d’hommes, selon Alger, prend le contrôle du site gazier d’In Amenas, exploité par le groupe britannique BP, le norvégien Statoil et l’algérien Sonatrach, dans le centre-est de l’Algérie. Un témoin, qui a raconté le déroulement de l’assaut au Monde.fr, évoque un groupe d’hommes de « plusieurs nationalités (…) très bien préparés, connaissant le site, la base de vie et le complexe qui se trouve en face », qui étaient habillés « en combinaisons militaires pour tromper les gens sur place ». « Après avoir pris le contrôle de la base de vie, les terroristes ont fait une fouille de toutes les chambres à la recherche d’otages, mais surtout à la recherche d’expatriés« , ajoute-t-il.
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La brigade Al-Mouthalimin, qui a revendiqué l’attaque, assure dans un premier temps détenir 41 étrangers « dont 7 Américains, des Français, des Britanniques et des Japonais ». Les forces militaires algériennes encerclent très vite le complexe, située à 1 300 kilomètres au sud d’Alger. Le ministre de l’intérieur, Dahou Ould Kablia, exclut d’emblée toute négociation avec les preneurs d’otages. En face, un porte-parole des islamistes menace de faire exploser le site « si les forces armés algériennes ne se retirent pas », rapporte le site Maghreb émergent.
Sans concertation avec les pays qui ont des ressortissants sur place, les autorités algériennes lancent l’assaut contre les terroristes, jeudi à la mi-journée. Il a eu lieu en plusieurs temps, avec des hélicoptères et des forces au sol, et dans une grande confusion sur les actions de l’armée, la situation des otages et la localisation des islamistes. L’assaut se poursuivait encore vendredi en début de soirée , même si la grande majorité du complexe est désormais sous contrôle de l’armée. Ce qu’il reste du groupe islamiste est retranché dans l’usine – où, par sécurité, le gaz a été coupé – avec un nombre incertain d’otages, selon une source sécuritaire algérienne.
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COMBIEN D’OTAGES, COMBIEN DE FRANÇAIS, QUEL BILAN ?
Une grande confusion a d’abord régné quant au nombre exact et à la nationalité des otages. Les djihadistes ont immédiatement séparé les employés en deux groupes : les Algériens d’un côté, qui étaient plusieurs centaines, et les étrangers de l’autre. Ces derniers étaient une quarantaine, des Américains, des Britanniques, des Norvégiens (treize, selon le premier ministre norvégien), des Japonais, un Irlandais, un Autrichien, des Malaisiens et des Philippins.
François Hollande confirmait, jeudi en début d’après-midi, la présence de ressortissants français parmi les otages, sans en donner un nombre exact. Le correspondant du quotidien algérien El Watan avait évoqué la présence de deux Français parmi les otages. Dans la soirée, la chaîne France 24 a affirmé avoir parlé par téléphone avec un otage français, précisant ne pas savoir s’il parlait sous la contrainte ou non. Selon des informations recueillies par Europe 1 jeudi, il se pourrait que quatre Français soient parmi les otages. L’agence d’information Associated Press, évoque elle « un couple de Français » qui se serait échappé en compagnie d’une dizaine d’autres Occidentaux. Jeudi, des centaines d’Algériens travaillant sur place ont pu s’échapper.
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Des bilans ont circulé, en provenance de sources anonymes, avant d’être rapidement démentis. La sécurité algérienne a évoqué une trentaine de victimes parmi les otages, dont un Français, et une dizaine parmi le commando islamiste, dont un autre Français. Un porte-parole des islamistes joint par l’agence d’information mauritanienne ANI et la chaîne Al-Jazira, a parlé d’une cinquantaine de morts, trente-quatre otages et quinze ravisseurs.
Avant tout bilan définitif, plusieurs responsables politiques ont laissé entendre qu’il y aurait un nombre important de victimes. « A l’heure où je vous parle, le décès de plusieurs otages est à déplorer, nous n’en connaissons ni le nombre ni la nationalité », a dit le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault. « Nous devrions nous préparer à d’autres mauvaises nouvelles », a reconnu son homologue britannique, David Cameron.
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A mesure que les manœuvres de l’armée algérienne se poursuivaient, des critiques se faisaient entendre dans les pays ayant des ressortissants pris en otage. La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis ont dit qu’ils n’avaient pas été tenus au courant de l’intention des autorités algériennes de mener une opération pour tenter de libérer les otages. « Nous avons appris comme vous ce qui s’est passé. L’Algérie est un Etat souverain », a confié une source gouvernementale française. « Nous essayons d’obtenir des éclaircissements de la part du gouvernement algérien », a précisé la Maison Blanche.
Le ministre des communications algérien, Mohamed Saïd, a justifié la décision du gouvernement de ne pas négocier avec « les terroristes, hier comme aujourd’hui et demain ». Il a assuré qu’Alger était « en contact permanent » avec les pays concernés « pour les tenir informés », malgré les déclarations de Paris, de Washington et de Londres. Enfin, il a dit que l’Algérie avait été obligée d’agir « immédiatement ».
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QUI SONT LES PRENEURS D’OTAGES ET QUELLES SONT LEURS REVENDICATIONS ?
Un groupe intitulé « la brigade des enturbannés » (« La brigade Al-Mouthalimin« ) a revendiqué la prise d’otages. Composé d’une trentaine d’hommes, il est dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, dit « le Borgne », récemment parti d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Les islamistes ont justifié leur attaque par le soutien de l’Algérie, en lui ouvrant son espace aérien, à l’intervention française au Mali. D’après un employé du site, ayant requis l’anonymat, ils réclament également « la libération de cent terroristes détenus en Algérie pour relâcher leurs otages ».
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Selon les services algériens, les islamistes sont venus de Libye. Un porte-parole de la la brigade Al-Mouthalimin a déclaré à l’agence d’information mauritanienne ANI que le commando était prêt pour l’opération depuis près de deux mois, parce « qu’on savait d’avance que le régime allait bien être l’allié de la France dans la guerre contre l’Azawad [nord du Mali]« . Ce porte-parole promet par ailleurs de nouvelles actions en Algérie.
Selon le site mauritanien Alakhbar, le groupe des preneurs d’otages a perdu trois de ses chefs dans l’opération des forces des sécurités algériennes, notamment le chef du commando, Abou Al-Baraa, l’un des plus importants responsables de la brigade.
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