
En recevant –de bonne foi- lundi au palais Sékhoutouréya le vice-président de l’UFDG Fodé Oussou Fofana, surnommé le « bélébéléba de l’UFDG » le président guinéen Alpha Condé n’avait jamais cru que ce dernier allait, contre rien, divulguer ce qu’ils se sont dit en privé. Surtout les sujets touchant directement la République. Donc, sensibles. Mais passons, le vin est tiré…
D’abord en allant rencontrer le président au palais, Fodé Oussou, selon ses propres dires, a d’abord obtenu l’aval de Cellou Dalein. Là, ça grince ! Et puis… Comme un naufragé, à la sortie de l’entretien avec le chef de l’Etat qui a duré deux heures d’horloge, Fodé a comme pris la rue à la recherche de medias. Surtout non pas pour apaiser mais pour dire tout ce qu’il croit faire mal au régime de Condé. Au point de choquer des sensibilités. Pourtant avant lui, d’autres politiques- Kouyaté, Dalein, Sidya, Mouctar, Soropogui- ont été bien reçus au Palais. Presque ‘’Motus’’. Mais jamais une rencontre n’a connu autant de vacarme dans la cité. Aujourd’hui, l’on est même en droit de se demander sur l’opportunité d’une telle rencontre. Quels en sont les arguments avancés ? Mieux, Fodé Oussou, pour qui connait le fonctionnement de l’UFDG, n’a aucune influence sur Cellou Dalein au point de le convaincre à abandonner ses revendications soutenues par les durs du parti. « Ce n’était vraiment pas nécessaire, cette rencontre », lance un observateur averti de la scène politique. Mais pourquoi donc Fodé Oussou a tenu à faire des sorties dans les médias sur sa rencontre avec le président ? Là reste toute la question. D’ici là, Mediaguinee vous propose en intégralité l’interview choc que Fofana a accordée à nos confrères de Guineenews… Interview
Guineenews: Le chef de l’État vous a reçu ce lundi à son palais. De quoi s’agissait-il ?
Dr Fodé Oussou Fofana : J’ai été effectivement reçu aujourd’hui (lundi, ndlr) par le chef de l’Etat, le Pr Alpha Condé, de 15 heures à 17 heures sous sa demande évidemment et par l’intermédiaire de Capi Camara, qui m’a contacté pour me dire que le président veut me rencontrer.
Avez-vous avisé votre parti ?
L’UFDG (Union des Forces démocratiques de Guinée, ndlr) est régi par des règles et procédures. Je ne peux pas rencontrer le Pr Alpha Condé sans en informer le conseil politique et notre leader, Elhadj Cellou. C’est ce que j’ai fait. Finalement, le conseil politique, ainsi qu’Elhadj Cellou, m’ont mandaté d’aller le rencontrer.
De quoi avez-vous discuté avec le chef de l’État pendant ces deux heures ?
Le chef de l’État a introduit en renouvelant sa volonté d’aller maintenant aux élections. Il a clairement expliqué sa volonté de sortir la Guinée de la situation actuelle. Il se dit décidé à aller aux élections comme tout le monde. Mais selon lui, l’opposition œuvre pour empêcher l’atteinte du point d’achèvement du PPTE (Pays Pauvre Très Endetté, ndlr), alors qu’il y a beaucoup de travail à faire.
Votre réponse ?
Je lui ai dit que c’est un plaisir de m’appeler pour demander mon avis en tant que vice-président de l’UFDG, et éventuellement voir si je pourrais avoir une influence sur Elhadj Cellou. Mais je n’ai pas manqué de lui dire aussi de faire très attention parce qu’il y a eu Sékou Touré, Lansana Conté et lui. La spécialité des Guinéens, surtout l’entourage du chef, est de dire ce que le chef veut entendre seulement et non la vérité.
C’est tout ce que vous lui avez dit ?
J’ai aussi parlé de la CENI (Commission électorale nationale indépendante, ndlr), en lui expliquant, par exemple, la nécessité de procéder à la recomposition paritaire de la CENI. Je lui ai rappelé que l’ancien président de la CENI, feu Ben Sékou Sylla, est décédé et que celui-ci n’a pas encore été remplacé par la société civile. Je me suis rendu compte qu’il n’était pas au courant.
Ah bon ?
Oui. Or, toutes les décisions de la CENI se prennent en plénière en présence de tous les membres, c’est-à-dire les 25 commissaires. Malheureusement, Ben Sékou n’est pas remplacé. Je lui ai expliqué également que le ministre de l’Administration du territoire a remplacé ses représentants à la CENI. Donc, ce n’est plus la même CENI. Il m’a dit que ce sont des fonctionnaires. J’ai répondu que ce ne sont pas les seuls qui travaillent en Guinée. Si le ministre voulait maintenir la CENI intacte, il n’avait pas besoin de procéder à ce remplacement. Je lui ai parlé aussi de la composition de la CENI. En tant que mouvance, je lui ai dit d’accepter de désigner ses dix représentants à la CENI et que l’opposition désigne aussi ses délégués. Quand je parle de l’opposition, c’est y compris les centristes. Parce qu’il faut qu’ils se définissent. Ou ils sont de la mouvance, ou ils sont de
l’opposition.
Et quoi encore ?
J’ai dit à Monsieur Alpha Condé qu’il a mené quarante ans de combat politique. Donc, dans dix ou quinze ans, il ne sera pas jugé en fonction du nombre de députés qu’il aura demain mais en revanche il sera jugé par la qualité de l’organisation de ces élections.
Qu’a-t-il répondu ?
Après toutes les discussions, le président m’a promis que les institutions de la République devaient éventuellement lui faire un compte-rendu, notamment le CNT (Conseil national de la transition, ndlr). Et à partir de cet instant, il verra effectivement quelles sont les dispositions à prendre et les points à accepter. Mais il dit attendre le CNT.
Et le cas de Lousény Camara ?
J’ai eu l’impression que le président veut insister sur le cas de Lousény Camara. Mais j’ai essayé de lui expliquer que ce cas est, pour nous, inadmissible, et qu’on ne peut pas aller aux élections, quand l’arbitre ne nous rassure pas. Je le lui ai dit. Il faut nous rassurer. Parce que Lousény a tellement prouvé son incompétence et sa malhonnêteté qu’on ne peut pas aller à des élections, lui étant à la tête de la CENI.
Justement, quel a été sa défense ?
Le président a essayé de m’expliquer en faisant le parallèle avec Eugène Camara (ancien Premier ministre de courte durée, ndlr), que Lousény est forestier, donc Tomamania. Il dit que les Tomamania sont en train de faire la campagne pour dire que Lousény est leur fils. Sauf que la loi ne dit pas que c’est un Tomamania qui doit présider la CENI. Ce n’est pas un problème ethnique. Si Loucény est mauvais, qu’il parte. Il n’est pas le seul Tomamania du pays. Si on veut faire plaisir aux Tomamania, on peut en trouver d’autres et plus méritants.
Autres sujets débattus ?
Par rapport au fichier électoral, je lui ai parlé de Sabary Technology. Mais quel que soit les justifications de M. Kane, c’est de la fuite en avant. A sa place, j’aurais eu le courage de dire que je suis le patron de Sabary Technology. On sait qu’il était le représentant du RPG (parti au pouvoir, ndlr) à la CENI. On ne peut pas aller avec un tel Monsieur. Ensuite, Waymark n’a pas été choisi sur appel d’offres. Or, ses incompétences et faiblesses ont été dénoncées par l’OIF. Le Pr Alpha Condé a eu l’impression comme quoi la présence des leaders politiques au Palais validait les recommandations de l’OIF. Mais non, il n’y a pas eu de conclusions. L’OIF a dénoncé les dysfonctionnements. Mais Monsieur Alpha Condé considère que tous ces problèmes peuvent être réglés par l’OIF. Aujourd’hui, le vrai problème n’est pas Sabary ou la CENI mais l’OIF qui devrait être une superstructure devant s’occuper de la révision. J’ignore qui lui a donné ce mandat de super- structure.
Avez-vous vu en lui la volonté d’organiser les législatives ?
J’ai compris que le chef de l’État considère Elhadj Cellou comme le leader de l’opposition. En fait, il veut aller aux élections mais il tient à aller absolument avec l’UFDG parce que pour lui, c’est le parti de l’opposition qui compte en Guinée et qui peut avoir des députés. Il a compris logiquement qu’il ne peut pas aller à des élections sans l’UFDG. Il reconnait que le chef de file de l’opposition, c’est Elhadj Cellou.
Votre différend avec Malick Sankhon a-t-il été abordé ?
Non, ce sujet est déjà réglé.
Depuis le coup de fil présidentiel ?
Effectivement, le Pr Alpha Condé a eu l’amabilité de m’appeler au téléphone pour me dire que ce n’est pas normal. Il a même promis d’en parler à Malick Sankon parce qu’il s’est rendu compte que celui-ci est allé en dehors de ses prérogatives en attaquant ma pharmacie. Cette question a donc été réglée par Monsieur Alpha Condé. Lui pensait qu’on l’insultait. Je lui ai dit que ni mon éducation, ni mon comportement, ne me permet d’insulter un chef d’État. Sauf que je suis derrière une position, celle de l’opposition. Quand je ne suis pas d’accord avec la politique et les actes posés du gouvernement, évidemment, je dénonce. Mais cela ne veut pas dire que j’insulte le président de la République. Je lui ai fait comprendre que le rôle qu’il a joué hier est celui que nous jouons aujourd’hui. Et le rôle de l’opposition est de dénoncer. Cela s’est terminé comme ça.
Qu’avez-vous promis au président avant de le quitter ?
Je lui ai promis de passer le message à Elhadj Cellou.
Quelles ont été vos impressions ?
J’ai l’impression que le président veut attendre les recommandations du CNT pour examen. J’ai eu impression aussi comme s’il est influencé par les Tomamania, qui veulent personnaliser le problème de Lousény. Ils en font un problème d’honneur. En disant, voilà, Eugène Camara a été limogé au profit de Souaré (Dr Ahmed Tidjane Souaré, ndlr). Et l’un n’est pas meilleur que l’autre. Donc, cela devient un problème de Tomamania, alors que non. Parce que dans notre loi, il n’est pas dit que le président de la CENI doit être issu de telle ethnie.
Le président multiplie les rencontres avec l’opposition….
Rencontrer un chef de l’État n’est pas un problème majeur. Dans un pays normal, c’est tout à fait normal qu’il puisse rencontrer les leaders politiques s’il en a l’envie. Ce qu’il faut éviter, c’est le rencontrer deux heures du temps et que lui seul parle. Moi, je peux être fier et heureux.
Parce que votre débat a été un dialogue et non un monologue ?
J’ai rencontré le président. Il a parlé beaucoup, il est vrai, mais j’ai quand même pu donner mon avis. Je lui ai dit d’accepter que je lui dise la vérité. Parce que souvent, on ne lui dit pas la vérité. L’entourage ne dit au chef que ce qu’il aime entendre, et non la vérité, juste pour avoir ses faveurs. Le président est pris en otage.
Pardon ?
Ah oui ! Quand on dit au président que l’article 162, qui donne des pouvoirs exorbitants au président de la CENI, règle le problème de la CENI. Quand on lui dit encore que Waymark était là depuis l’entre-deux-tours, c’est comme si le président ne savait pas que c’est Loucény qui est allé négocier ce contrat sans appel d’offres. Aujourd’hui, Waymark enregistre vingt faiblesses. En dépit de tout, nous avons deux solutions. Soit, la révision du fichier électoral, soit le choix d’un nouvel opérateur à travers un appel d’offres international. Je défie quiconque qui me prouvera que Waymark a une expérience électorale. Et si on vérifie cette société dans le registre de commerce sud- africain, on verra que c’est une société- écran qui est là pour aider Sabary Technology à inventer un nouveau fichier électoral devant octroyer la majorité au président Alpha Condé à la future Assemblée.
Tout cela est orchestré par l’entourage du chef de l’État, qui le prend en otage et qui l’empêche d’aller aux élections. Le président Alpha Condé a intérêt à organiser des élections libres, transparentes et crédibles pour tout le combat qu’il a mené. Il entrera dans l’histoire par la grande porte. Je pense que les institutions doivent prendre leur responsabilité. Parce que le CNT est miné par un problème majeur. D’abord, il y a Hadja Rabiatou, qui ne prend pas le leadership aujourd’hui dans cet organe. Elle est traumatisée. Elle passe tout son temps en train de se justifier. Il y a ensuite les deux vice-présidents. Personne ne connait la position de l’un ou l’autre. Je pense que le CNT demandera la recomposition de la CENI et le départ de Lousény Camara. Parce que nous n’accepterons pas d’aller à des élections avec Lousény comme président. C’est la position de l’UFDG. Nous voulons une CENI recomposée et un
fichier propre. Sur ce, nous ne reculerons pas. Nous voulons avoir les députés que nous méritons. C’est ce que j’ai expliqué au président.
Est-ce votre premier tête-à-tête depuis son investiture ?
Oui, c’est le premier face-à-face entre nous, le premier contact direct. C’est la première fois que je viens au Palais Sékhoutouréya. Je lui ai rappelé qu’un de ses ministres, par exemple, a travaillé avec moi. C’est moi qui lui ai engagé.
Faites-vous allusion au ministre du pré-universitaire ?
Effectivement, Dr Ibrahima Kourouma est un pharmacien. Il a été mon délégué. Je lui ai dit qu’à travers ce dernier, je savais qu’il était avec lui.
Comment vous êtes-vous quittés ?
J’ai été globalement bien reçu. On s’est séparés. Et il m’a raccompagné jusqu’à la porte. Cela a été un plaisir.
Le dernier mot entre vous deux ?
Il a dit que sa porte est grandement ouverte. A mon retour, j’ai fait le compte-rendu à Elhadj Cellou, qui m’a mandaté d’aller rencontrer le chef de l’Etat.
Je vous remercie
C’est moi qui vous remercie.
Propos recueillis par Abdoulaye Bah en collaboration avec Amadou Tham Camara pour Guineenews