mercredi , 22 mars 2023

Procès Lubanga: la Cour Pénale Internationale a un coupable

La Cour Pénale Internationale condamne le Congolais Thomas Lubanga Dyilo comme co-auteur de crimes de guerre. Un premier verdict historique.

Le premier verdict de la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye, aux Pays-Bas, qui est tombé le mercredi 14 mars dans l’affaire le Procureur contre Thomas Lubanga était très attendu.

A l’unanimité, les juges de la Chambre de première instance ont reconnu la responsabilité de Thomas Lubanga comme coauteur des crimes guerre.

Thomas Lubanga Dyilo, 52 ans, est reconnu coupable de conscription, d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer aux combats. Des enfants étaient envoyés au front, d’autres servaient de garde du corps et certaines filles ont été victimes de viols et violences sexuelles.

C’est la première condamnation prononcée par cette institution de justice internationale depuis sa création.

Une procédure qui ne s’est pas déroulée sans peine. Il aura fallu attendre six ans pour en arriver à ce verdict, 129 victimes représentées, 36 témoins cités et près de 1.373 pièces dans le dossier.

Mais il s’agit aussi d’un premier acte fort pour son caractère symbolique dans un pays, la République démocratique du Congo (RDC), traversée par des vagues de conflits armés à l’Est.

Depuis plus d’une décennie, la RDC a connu la guerre de libération, la guerre de 1998 et les rébellions qui s’en sont suivies avec des affrontements pour le contrôle d’une portion de terre, soit pour le contrôle des carrés miniers ou des gisements d’or, coltan, diamant, etc.

Le conflit armé qui a éclaté dans le district de l’Ituri, en Province Orientale, n’échappe pas à cette réalité, avec en plus, un fond interethnique entre Héma (ethnie de Thomas Lubanga et Lendu).

 


Une journée historique

Tôt le matin, des cars de reportages étaient visibles autour de l’immeuble de la CPI. Chaque journaliste veut être prêt pour son direct et surtout ne pas rater le verdict. Les journalistes radios, sortent leurs enregistreurs. Chacun met au point son matériel pour le grand moment fatidique. Il n’y a pas que les journalistes —près d’une cinquantaine de différentes rédactions, Al Jazeera, BBC, etc. et les correspondants d’autres journaux basés sur place—, qui sont intéressés par le procès Thomas Lubanga. Il y a des stagiaires, étudiants en droit qui viennent assister au procès.

Près d’une heure avant le début de l’audience, une longue file se forme.

A quelques mètres de là, un agent de la CPI a une liste en main et filtre les entrées de certaines personnalités qui sont attendues. «Angélina Jolie est la aussi», glisse un monsieur.

Des curieux attendent de prendre place dans les galeries publiques, salles réservées au public. Serge Malundamene, un Congolais qui vit à La Haye est parmi eux. Il joue des coupes pour être parmi les premiers.

«Je sais qu’il n’y aura pas assez de place. Je serai dans une autre salle, pourvu que j’entre d’abord. Je pense que je trouverai une place», espère-t-il.

Ce Congolais suit bon nombre d’affaires traités à la Cour Pénale Internationale dans lesquels certains ressortissants congolais sont impliqués.

Pendant la lecture de la sentence, Thomas Lubanga, de blanc vêtu, longue robe (boubou ouest-africain), bonnet blanc sur la tête, est resté impassible. Visiblement sans expression.

La peine qu’encoure Thomas Lubanga n’est pas annoncée dans le verdict. «La Chambre consacrera une autre audience pour fixer la peine», a déclaré le juge britannique Adrian Fulford. Une source proche du dossier confie que «le Procureur aurait demandé la perpétuité pour Thomas Lubanga. Dans un mois, les juges devront se prononcer dessus».

Serge Malundamene ressort de la salle avec un sentiment mitigé. D’une part, il pense que Thomas Lubanga a échappé au versement dans son dossier des viols et violences sexuelles commises par ses hommes. Crimes qui n’ont pas été versés à cause de la période où ils ont été commis, en 2000, alors que le procès a porté sur les faits commis entre septembre 2002 et aout 2003 dans le district de l’Ituri, Province Orientale, à l’Est de la République démocratique du Congo.

Sur le fond, ce juriste de formation estime que les avocats de Thomas Lubanga auraient pu demander l’arrestation de certains témoins dont les témoignages se sont avérés peu crédibles, pour ne pas dire faux.

Dissuader les enrôleurs d’enfants soldats

Un autre jeune estime que «monsieur Ocampo n’a pas les preuves pour condamner Thomas Lubanga». Selon lui, «les petits soldats (enfants soldats) sont connus en RD Congo depuis l’époque de Laurent Désiré Kabila. Ces enfants étaient appelés Kadogo (les enfants)».

Certains responsables Congolais qui ont assumé des fonctions de responsabilité à l’époque, ont-ils du souci à se faire?

Paul Nsapu, secrétaire générale de la Fédération internationale des droits de l’homme, réagit:

«ce verdict est un signal fort aux responsables des crimes internationaux qui ne sont pas à l’abri des poursuites. La FIDH ainsi que les autres partenaires internationaux continueront à faire pression sur le gouvernement congolais que cette l’impunité et qu’il livre tout ceux qui sont impliqués dans des crimes commis sur le sol congolais.»

Anneke Van Woudenberg, chercheuse principale de Human Rights Watch en RD Congo, se félicite:

«le verdict d’aujourd’hui est une victoire, importante et énorme pour les enfants qui ont été enrôlés comme soldats, pour les victimes de l’Ituri, pour la justice et pour les Congolais. Thomas Lubanga doit payer pour les actes qu’il a commis. Il est temps que son co-accusé Bosco Ntanganda, qui vit à Goma, au Nord-Kivu, avec la complicité de quelques autorités de la région, soit aussi livré à la CPI. Ce verdict est un bon exemple de lutte contre l’impunité en RDC.»

A croire que d’autres chefs de guerre congolais suivront Thomas Lubanga dans les prochains jours. Ce jugement risque aussi de produire un effet de prévention. «Avec ce qui arrive à Thomas Lubanga, analyse Paul Nsapu, cela pourra dissuader certaines personnes qui seraient tentés d’utiliser les enfants dans leurs rangs.»

Il faut savoir que le conflit dans lequel les enfants ont été recrutés pour leur docilité et leur capacité à être facilement manipulé s’est déroulé dans un contexte de lutte interethnique entre Hema et Lendu pour le contrôle des terres et des minerais dans la région.

C’est ainsi que Thomas Lubanga et ses co-auteurs ont mis en place un plan commun pour former une armée dans le but de prendre et de conserver le contrôle du district de l’Ituri et la ville de Bunia, politiquement et militairement.

Le conflit a fait plus de 60.000 victimes dans la région où l’UPC de Thomas Lubanga et sa branche armée les FPLC ont semé la terreur.

Si les membres de la Coalition pour la Cour pénale internationale s’attendent à un appel de la défense, une chose est sûre: avec ce premier verdict de la CPI, cette jeune institution a joué sa crédibilité.

SlateAfrique