
Mise à jour du 26 décembre: La vague d’attentats au Nigeria perpétrée le jour de Noël a fait 40 morts dont un kamikaze, selon le dernier bilan. Ces attaques revendiquées par la secte islamiste Boko Haram ont notamment visé des églises pendant les célébrations chrétiennes de la Nativité.
Mise à jour du 25 décembre 2011: Une explosion a eu lieu le matin du dimanche de Noël dans une église près d’Abuja, la capitale du Nigeria, faisant des victimes, ont annoncé les secours.
«Explosion à l’église St Theresa près d’Abuja», a indiqué le porte-parole de l’agence nigériane des services de secours (Nema) l’agence, Yushau Shuaib.
«Il y a des victimes mais nous ne pouvons pas donner de chiffres pour l’instant», a-t-il ajouté.
Mise à jour du 23 décembre 2011: Quarante-six personnes ont été tuées cette semaine dans le nord-est du Nigeria lors d’attaques revendiquées par la secte islamiste Boko Haram et dans des affrontements consécutifs avec les forces de l’ordre, ont indiqué samedi des sources médicales.
Ces victimes ont été dénombrées à Damaturu et Potiskum, dans l’Etat de Yobe, ainsi qu’à Maiduguri, capitale de l’Etat voisin de Borno. Des explosions et des tirs ont retenti jeudi dans ces trois villes et les violences se sont poursuivies vendredi à Damaturu.
Un attentat en plein cœur d’Abuja, la capitale du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique. Une cible de choix: la représentation des Nations unies. 23 morts. Un véhicule piégé. Aussitôt, cette action particulièrement spectaculaire et médiatisée a été revendiquée par la secte islamiste Boko Haram (qui signifie «l’éducation occidentale est un péché», en langue haoussa, majoritairement parlée dans le nord du Nigeria).
En juin 2011, la secte avait déjà fait montre de sa capacité de destruction en commettant un attentat devant le siège de la police: il avait fait deux morts. Cette action faisait suite aux fanfaronnades du chef de la police nigériane, qui avait affirmé peu de temps auparavant que Boko Haram était détruite.
Cette secte, qui veut imposer une application particulièrement stricte de la charia (loi islamique) dans le nord du Nigeria, est en guerre ouverte avec l’État fédéral. Boko Haram multiplie depuis le milieu des années 2000 des actions particulièrement violentes contre les chrétiens du nord du pays, mais aussi contre les musulmans qui n’adhèrent pas à ses thèses extrémistes. La secte n’a pas hésité à faire assassiner des chefs politiques et religieux musulmans.
Afin de mettre un terme à ses agissements, le gouvernement fédéral a décidé de frapper fort dès 2009. L’armée l’a attaquée dans son fief à Maiduguri, une ville d’un million d’habitants située dans l’extrême nord du Nigeria. Les militaires ont fait raser la mosquée qui lui servait de lieu de ralliement. Mohammed Yusuf, son dirigeant, est mort lors de sa garde à vue. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, près de 780 islamistes auraient été tués lors de l’intervention des militaires.
Le gouvernement fédéral pensait alors en avoir fini avec ces islamistes radicaux. Ils ont fait profil bas à Maiduguri, mais sont allés s’aguerrir dans le Sahel auprès de «frères en djihad». Le chef défunt est devenu un martyr. Loin d’avoir éradiqué Boko Haram, l’État fédéral n’a fait que renforcer sa virulence et sa dangerosité.
Boko Haram allié à Aqmi.
Selon les services de renseignements occidentaux, Boko Haram a établi des liens avec al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), ainsi qu’avec les shebab, les islamistes radicaux somaliens.
L’attentat d’Abuja est une «opération de communication» efficace. Il montre que l’État fédéral n’est à l’abri nulle part. Même dans la capitale, la ville qui devrait être la plus sécurisée, Boko Haram peut frapper à sa guise. Le mouvement radical prévient aussi les étrangers du fait qu’ils sont désormais une cible de choix.
Aqmi ayant enlevé des Occidentaux, Boko Haram pourrait être tentée de les imiter afin de financer ses combats futurs. D’autre part, ces actions contre les intérêts occidentaux fragilisent le président Goodluck Jonathan. Élu en avril 2011, ce chrétien originaire du delta du Niger entretient d’excellentes relations avec les États-Unis. Il compte sur les investissements occidentaux, notamment dans le domaine pétrolier, pour développer économiquement le Nigeria.
Si les partenaires étrangers devaient revoir à la baisse leurs investissements, ce serait une très mauvaise nouvelle pour Jonathan. Du fait de sa forte démographie, le Nigeria a besoin de maintenir un niveau de croissance économique soutenu pour éviter une explosion sociale. En 2050, le Nigeria pourrait être plus peuplé que les États-Unis. Le «géant de l’Afrique» compterait alors plus de 300 millions d’habitants, plus du double de sa population actuelle.
Boko Haram soutenu par des élites du Nord
Le régime de Goodluck Jonathan a d’autant plus de mal à combattre Boko Haram que cette secte est beaucoup moins isolée qu’il n’y paraît. «Une partie des élites du nord du Nigeria la soutient en sous-main», estime l’universitaire nigérian Tunde Fatunde.
Des dirigeants de la partie septentrionale du pays n’ont pas accepté la victoire de Goodluck Jonathan lors de la présidentielle. Ils considéraient qu’après le règne d’Olesegun Obasanjo (de 1999 à 2007), un chrétien du sud, le poste de président devait revenir à un homme du nord pendant deux mandats de cinq ans. Mais le sort et la santé fragile d’Yar Adua en ont décidé autrement. Issu de la haute société nordiste, il n’a pu achever son mandat. Il est mort en 2010, avant terme, et son vice-président Goodluck Jonathan a réussi à imposer sa candidature aux hiérarques du People Democratic Party, au pouvoir.
Mais son accession à la présidence n’est toujours pas acceptée par une grande partie des nordistes.
«Les sudistes ont déjà le pouvoir économique. Si en plus on leur donne le pouvoir politique, qu’est-ce qui nous reste?», s’interroge Musa Bello, un haut fonctionnaire de la région de Kano, capitale économique du nord Nigeria.
Au cours des dernières années, le fossé n’a cessé de se creuser entre le nord musulman et le sud chrétien. A partir de 2000, une application stricte de la charia a été progressivement imposée dans les douze états du nord de la Fédération.
Une nouvelle guerre de religion?
Signe des temps, dès le 11 septembre 2001 des affrontements sanglants entre chrétiens et musulmans ont fait des centaines de morts à Jos, ville du centre. Surnommée la Cité de la paix, Jos était jusqu’alors la ville où musulmans et chrétiens vivaient en bonne intelligence. Mais depuis dix ans, les attaques sanglantes s’y sont multipliées. Le 29 août 2011, de nouveaux affrontements entre chrétiens et musulmans ont fait trois morts.
«Désormais, il y a des quartiers pour les chrétiens et des quartiers pour les musulmans. Les mélanges se font rares», explique Alan, un enseignant qui constate que les conflits à Jos ont commencé avec l’imposition de la charia dans le Nord. «Des chrétiens persécutés dans le Nord sont venus se réfugier à Jos. Ils avaient envie de prendre leur revanche, d’en découdre avec des musulmans. C’est ainsi que tout a démarré. Et le cycle de la violence ne s’est jamais arrêté depuis.»
Des millions de chrétiens, notamment des commerçants ibos, vivent dans le nord du Nigeria depuis des décennies. Boko Haram s’attaque désormais à ceux qui tiennent des bars dans le Nord. Des habitants y sont assassinés du seul fait de leur religion.
Un évêque anglican du Sud vient de menacer de représailles les musulmans si ces exactions devaient continuer. Les chrétiens, notamment les évangéliques, haussent le ton. Ces menaces sont prises au sérieux. Au cours des dernières années, des pogroms antichrétiens dans le Nord ont parfois entraîné des pogroms antimusulmans dans le Sud.
Dans les années soixante, des pogroms antichrétiens dans le Nord avaient provoqué un exode massif de chrétiens originaires du pays ibo (sud-est du Nigeria). Ces persécutions ont été l’un des motifs invoqués pour justifier la sécession biafraise (celle du pays ibo, très majoritairement catholique). La guerre de sécession a fait près de trois millions de victimes entre 1967 et 1970.
Faut-il craindre une nouvelle guerre entre un Nord musulman et un Sud chrétien? Malgré la virulence de Boko Haram, le Nigeria n’est pas encore au bord du précipice. Les élites nigérianes auraient trop à perdre en cas de sécession. Le pays compte près de 200 ethnies disséminées sur tout le territoire de la Fédération.
Dans le Sud-Ouest notamment, en pays yorouba, toutes les religions sont très présentes. Plusieurs membres d’une même famille peuvent appartenir à des obédiences très variées. Ainsi, l’ex-président Olusegun Obasanjo (au pouvoir de 1999 à 2007) a changé plusieurs fois de religion. Il a été chrétien, avant de devenir musulman puis d’opter pour la religion… baptiste. Les changements de cap religieux sont monnaie courante au Nigeria. Il en est allé de même pour Moshood Abiola, vainqueur de la présidentielle de 1993.
Dès lors que la manne pétrolière —qui procure 90% des rentrées en devise du Nigeria— se trouve dans le Sud (delta du Niger), les élites du Nord n’ont aucun intérêt à voir s’opérer une sécession du pays. Une partie d’entre elles ont sans doute aidé à l’émergence de Boko Haram afin de faire entendre leur voix, celle du Nord musulman.
Espérons qu’elles auront les ressources nécessaires pour freiner et asphyxier la «machine infernale» qu’elles ont contribué à créer. Qu’elles pourront mettre hors d’état de nuire Boko Haram… Avant que Boko Haram ne détruise le Nigeria.
Pierre Cherruau