
Dans un élan désespéré, le président de la Jamahiriya y rappelle le pacte d’amitié scellé moins de deux ans plus tôt entre l’Italie et la Libye et enjoint le président du Conseil italien à faire cesser les bombardements de l’Otan sur son pays.
«Faire parvenir ce message comme venant de moi par le biais de ce document et ce, après correction». Ces quelques mots manuscrits en haut à gauche de la lettre le sont de la main même de l’ex-dictateur. Est également indiqué le nom du destinataire : Abdallah Mansour. Le général Mansour qui figure sur la liste des hommes recherchés par le Tribunal pénal international (TPI) est un proche de Kadhafi dont il a longtemps dirigé la télévision d’Etat. A la fin de la lettre, le Guide libyen raye l’expression «nouveaux amis» pour la remplacer par: «amis et alliés». Sans doute afin de ne pas froisser Berlusconi. Plus intéressant, l’objet de la missive revue et corrigée par le Colonel n’est plus de «parvenir à une solution qui garantisse au grand peuple libyen le choix en totale liberté de qui le dirige», mais «que cesse cette agression à l’encontre de mon pays». Une différence sensible qui prouve que le Kadhafi du 5 août dernier n’envisageait pas de négocier son départ.
Présenté courant août au Palazzo Chigi à Rome, ce document n’a eu aucun écho. Le plus incroyable est que l’émissaire italien venu chercher à Tripoli ce qui pourrait être le dernier message adressé par le Leader libyen au monde occidental n’est ni un agent du SISMI (les services secrets italiens), ni un mercenaire à la solde du régime de Kadhafi, mais le directeur d’une agence d’hôtesses située sur la très chic Via Veneto à Rome. Alessandro Londero et sa femme Yvonne di Vito dirigent Hostessweb, l’agence qui fournissait le parterre de spectatrices pour les conférences données par Kadhafi lors de ses nombreuses visites officielles dans la capitale italienne.
« Le général Mansour était l’un des seuls à pouvoir encore communiquer avec Kadhafi »
Amis du Guide libyen, le couple a souvent été invité sous sa tente à Tripoli ou à Syrte et a même eu même le privilège de voir débarquer le colonel en basket et en jogging ou de retour d’une partie de chasse. «C’était un homme simple, attaché à ses racines bédouines, qui voulait nous faire découvrir sa culture et son pays et nous traitait avec énormément de respect», explique aujourd’hui Yvonne Di Vito, émue par la mort de son ami. Présentée par la chaîne de télévision Russia Today comme une « activiste », la manager d’Hostessweb est aussi la fondatrice d’un site Internet pro-Kadhafi, www.libyanfriends.com sur lequel on peut voir, par exemple, une vidéo de l’ex-dictateur en papy gâteau avec l’une des ses petites-filles.
Lorsqu’en juillet dernier, Alessandro et Yvonne apprennent par un ami libyen que le Guide aimerait les voir, ils prennent un avion pour Djerba et gagnent Tripoli par la frontière tunisienne. Le 7 août, le couple est reçu dans un bunker par le général Abdallah Mansour, qui les informe que Kadhafi vient de fuir la capitale la nuit précédente. « Le général Mansour est alors l’un des seuls à pouvoir encore communiquer avec le chef d’Etat libyen » explique Alessandro Londero. Le patron de l’agence Hostessweb se prêtera au jeu de la diplomatie parallèle et acceptera de livrer un message à l’Etat italien. Il recevra en main propre ce projet de lettre annoté par Kadhafi. «Lorsque la traductrice du service du protocole l’a vue, elle nous a dit reconnaître l’écriture du Guide et elle s’est mise à sangloter», raconte le patron de l’agence d’hôtesses qui, dans la précipitation due aux événements, n’a jamais pu récupérer la version définitive du message. A son retour à Rome, Alessandro Londero passera plusieurs heures à plaider la cause du Guide avec des conseillers de Berlusconi. En vain.
Texte intégral de la lettre de Kadhafi à Silvio Berlusconi
« Cher Silvio.
Je te fais parvenir cette lettre par l’intermédiaire de tes concitoyens, qui sont venus en Libye nous apporter leur soutien dans un moment aussi difficile pour le peuple de la Grande Jamahiriya.
J’ai été surpris par l’attitude d’un ami avec qui j’ai scellé un traité d’amitié favorable à nos deux peuples. J’aurais espéré de ta part au moins que tu t’intéresses aux faits et que tu tentes une médiation avant d’apporter ton soutien à cette guerre.
Je ne te blâme pas pour ce dont tu n’es pas responsable car je sais bien que tu n’étais pas favorable à cette action néfaste qui n’honore ni toi ni le peuple italien.
Mais je crois que tu as encore la possibilité de faire marche arrière et de faire prévaloir les intérêts de nos peuples.
Sois certain que moi et mon peuple, nous sommes disposés à oublier et à tourner cette page noire des relations privilégiées qui lient le peuple libyen et le peuple italien.
Arrête ces bombardements qui tuent nos frères libyens et nos enfants. Parle avec tes [nouveaux (rayé)] amis et vos alliés (1) pour parvenir à [une solution qui garantisse au grand peuple libyen le choix en totale liberté de qui le dirige (rayé)] ce que cesse cette agression à l’encontre de mon pays (1).
J’espère que Dieu tout-puissant te guidera sur le chemin de la justice [dans le but d’arrêter ce bain de sang que subit mon pays la Libye (rayé)]. »
(Au texte imprimé de ce projet de lettre, le colonel Kadhafi avait ajouté la mention manuscrite suivante (en ht à g. de la lettre) :
« A l’attention d’Abdallah Mansour : faire parvenir ce message comme venant de moi par le biais de ce document et ce après correction. »)
SOURCE : Parismatch.com