A Lélouma, le 22 Mai, alors que les médias du monde entier racontaient depuis quatre jours tout ce qui leur tombait sous la main – y compris les ragots – sur l’Affaire DSK au centre de laquelle se trouve Nafissatou Diallo, les parents de la présumée victime du viol n’étaient encore au courant de rien.
Il a fallu l’arrivée des premiers journalistes à Thiakoulè, village natal de Nafissatou, pour que la famille se rende compte que leur enfant était au centre d’un scandale, qui met à terre, humainement et politiquement, l’un des hauts fonctionnaires les plus connus de la planète.
« Je n’ai été informé que très tardivement. Soit disant que ma sœur avait été violée par quelqu’un que je ne connais ni d’Adam ni d’Ève », explique Mamoudou Diallo, le grand frère de même père et de même mère de Nafissatou Diallo, qui venait de rentrer d’un séjour au Sénégal auprès de leur mère Hadja Aïssatou Thyanguel Diallo. « Pourtant à Labé, où j’ai passé la nuit du 21 mai en arrivant, tous les amis que j’ai rencontrés savaient ce qui s’était passé. Mais personne n’a osé m’informer de cette affaire ; assimilable, selon eux, à un décès ».
Cependant, du peu qu’il sait de cette affaire de viol, le grand frère de Nafissatou jure la main droite sur le Coran que Nafissatou ne ment pas : « Vous verrez, s’il plait à Dieu le Tout Puissant, tout ce qu’elle dira sur l’homme qui l’a agressée se vérifiera au fur et à mesure, puisqu’elle ne ment et ne mentira pas pour qui que ce soit. Son éducation ne lui permet pas d’agir ainsi ».
Une famille très religieuse
Le père de Nafissatou, feu Thierno Ibrahima Diallo, dirigea les grandes prières pendant plus de cinq décennies. Il était un grand érudit du Fouta, explique Soriba Sylla, sous-préfet de Balaya. Il fut l’ami très proche du Chérif Abdoul Mazib, Grand Waaliou de Sagalé. Blotti sur les flancs de la montagne, le village de Thiakoulè est situé à 20 Km au nord-est de la commune urbaine de Lélouma, dans le district de Hoorè-Djoli, et à 9 km de Sagalé, le chef-lieu de la CRD. L’accès est particulièrement difficile.
A la place de la case dans laquelle est née Nafissatou, une maison en dur a été bâtie, abritant aujourd’hui les cinq enfants d’une même mère. En aval, leurs frères vivent dans un autre bâtiment. C’est entre ces deux maisons familiales que se dresse une mosquée, près de laquelle repose leur père. Quelques cases sont dispersées sur ce vaste domaine de plus de 10 hectares. Ici, on vit en autarcie : culture maraîchères, plantations de banane, mangue, avocat. Les habitants n’ont pratiquement aucun contact avec le monde extérieur. La contrée résiste à la modernité et conserve la tradition islamique foutanienne.
C’est dans cet environnement profondément religieux, où l’exactitude des dates, même des naissances, est peu préoccupante, qu’est née Nafissatou Diallo. Son grand frère Mamoudou situe sa naissance entre 1975 et 1980.
Dans la famille, comme tout le voisinage, du lever au coucher du soleil, la vie se partage entre les prières, la culture, le ménage et la quête quotidienne du savoir par la lecture du Coran. Bien qu’illettrée, Nafissatou est capable de réciter le Coran et de l’expliquer, dit son frère Diallo : « Notre père n’a jamais voulu qu’on fréquente l’école française, qui ne fait pas partie de la vie familiale inspirée uniquement du Coran ».
Pas d’électricité à Thiakoulé. Ici, il n’y a jamais eu de dancing ! Aucune liaison téléphonique ; il est totalement illusoire de tenter de se connecter à un bout de réseau perdu. C’est dans cet isolement très religieux, dans ce monde totalement fermé, sans aucun contact même avec le reste de la préfecture, qu’a vécu cette jeune femme sérieuse dont le monde entier connaît aujourd’hui l’existence.
Le bref séjour de Nafi à Conakry
La première fois que la petite Nafissatou Diallo quitte Thiakoulé, c’est entre 2002 et 2003 se souvient Mamoudou : « Comme elle avait fini d’apprendre et de réciter le Coran, j’avais demandé et obtenu difficilement de nos parents qu’elle me rejoigne à Conakry pour apprendre un métier. Elle avait choisi la couture. Nous étions logés à Bambéto »..
Mais pas pour longtemps, car au bout d’un an le père exige qu’elle revienne à la maison. Nafissatou obéit, sans réticence, malgré la découverte de la vie si différente et si attrayante de Conakry. Dès son retour, elle va être donnée en mariage à un certain Abdoul Gadiri Diallo, fils aîné d’El hadj Mamadou Dian Diallo, actuel président de la Ligue islamique préfectorale de Lélouma.
La jeune femme rejoint son mari au village voisin et commence sa vie conjugale dans une belle-famille également très religieuse. Commerçant, l’époux de Nafissatou s’installe d’abord à Labé. Le couple vivra ensuite en Haute-Guinée, jusqu’à ce que le père de famille, hélas ! décède brutalement. De cette union est née une fille, Aminata Diallo, que Nafissatou va bien-sûr garder auprès d’elle et emmener plus tard aux Etats – Unis, où elle assume aujourd’hui seule et courageusement son existence.
Nafissatou n’a pas été à l’école
Le refus du père de l’envoyer à l’école explique l’illétrisme dont souffrait Nafissatou Diallo, comme la plus part des jeunes filles du village.
La seule école primaire est à six kilomètres du village, au centre-ville du district. M. Ibrahiama Tanou Sow, directeur de l’école primaire de Hoorè-Djoli explique les raisons de la non scolarisation des jeunes filles : « D’abord inscrire une fille à l’école française est un tabou, à cause de la tradition. Il y a aussi le fait que les écoles sont très éloignées. Certains parents refusent de laisser leurs filles traverser seules des kilomètres de forêt. Aujourd’hui, il n y a que 18 jeunes filles du même village qui fréquentent l’école primaire de Hoorè-djioyi ».
SOURCE: Le Nimba