Jean-Pierre Friedman (1), psychiatre et psychanalyste, a côtoyé de nombreux hommes politiques et grands patrons, et décrypte le comportement de ces « animaux » accros au pouvoir. Le psychiatre Michel Lejoyeux, psychiatre, est spécialiste de l’addiction à l’hôpital Bichat, à Paris. Ils nous livrent, l’un et l’autre, leur éclairage à chaud mais restent très prudents quant au cas DSK, présumé innocent des faits d’agression sexuelle dont il est accusé.
Jean-Pierre Friedman (1) Le pouvoir et le sexe, c’est la même libido. Ce sont deux désirs, deux formes de pulsions quasi irrésistibles. Ceux qui en sont possédés perdent la tête. La sexualité, c’est la prise de pouvoir sur l’autre. D’une manière générale, l’addiction au sexe traduit une grande ambition, servie par un énorme tempérament. La pulsion de la prise de pouvoir et la pulsion sexuelle coexistent depuis longtemps dans l’histoire politique de notre pays. Talleyrand se plaignait que Napoléon soit incapable de se passer d’une relation sexuelle à chaque étape.
Michel Lejoyeux (2) Méfions-nous de la psychologie collective… Aucune étude n’a démontré que les hommes politiques ont un comportement sexuel différent des charcutiers ! Comme les grands chefs d’entreprise, ils ont un fort investissement dans le travail, et peu de capacité à prendre des loisirs. L’hypermédiatisation les pousse à être ultra-vigilants. Dès lors, dès qu’un événement comme celui-ci fait irruption, cela renforce l’idée que nous sommes gouvernés par de grands malades, c’est dangereux pour la démocratie.
F.-S. Le pouvoir, les hautes sphères, cela crée-t-il un environnement particulier ? Un détachement du réel ? Le sentiment de toute-puissance et d’impunité ?
J.-P. F. Je ne vois que deux hypothèses : soit les faits sont avérés, et c’est inquiétant, car cela montre qu’il est trop dépendant de ses pulsions et ne se contrôle pas. Soit il s’agit d’un énorme coup monté. Dans son cortex cérébral, il sait bien que tous ses adversaires lui connaissent ce point faible : les femmes. Il sait qu’il est surveillé, nuit et jour. S’il a laissé son impulsion dominer cette analyse, c’est tout aussi préoccupant.
M. L. A son niveau, on a du mal à vivre la vie « normale », quotidienne, on n’a pas le loisir des sensations simples. On ne peut pas non plus vivre en permanence sur ses gardes, ni contrefaire sa nature. Aucune psychologie humaine ne permet un contrôle du matin au soir. Vous finissez par oublier la vigilance. Un mandat électoral ou une haute responsabilité ne donnent pas une absolue maîtrise de soi, pas plus qu’ils ne vous transforment en monstre ou en malade.
F.-S. Le sexe peut-il être un moyen de « décompresser », d’évacuer la pression pour des personnages de premier plan ?
J.-P. F. Je ne le crois pas. Pour DSK, il faut rester très prudent car les faits ne sont pas établis. Si tel est le cas, ce serait plutôt une pathologie. Il m’a toujours paru difficile, tel qu’il m’apparaît, qu’il se guérisse facilement de ses pulsions sexuelles supposées. Mais ce passage à l’acte me semble ahurissant.
M. L. Décompenser, non. Dans cette affaire, en attendant la vérité, je vois un homme qui a ses émotions, ses faiblesses. Je vois de la souffrance.
(1) Auteur du Pouvoir et des Hommes, éd. Michalon.
(2) Auteur des Secrets de nos comportements, éd. Livre de poche